Conférence finale du métropolite Kallistos Ware
« Une gloire plus brillante que la lumière »
Nous considérerons d’abord la signification de la gloire révélée sur le Thabor, puis nous explorerons la relation entre les deux monts : le Thabor et le Golgotha. Cela, avec deux questions. Premièrement, quelle est la nature de l’éclat qui, tel une lumière, rayonne de la face et des vêtements du Sauveur lors de sa transfiguration ? Deuxièmement, quel est le lien, s’il y en a un, entre la gloire de la Transfiguration et la kénose (du mot grec kénosis, qui signifie vide) du Christ au jardin de Gethsémani et au Golgotha ?
À propos de la Transfiguration, il est dit dans le récit évangélique que la face du Christ brillait « comme le soleil » (Mt 17, 2). Sur ce point, les Pères grecs et les textes liturgiques orthodoxes sont plus explicites et vont plus loin. La face du Christ, déclare saint Jean Chrysostome, ne brillait pas seulement « comme », mais davantage que le soleil. Les Pères sont ici étonnamment unanimes dans leur enseignement : la gloire du Thabor est une lumière qui n’est pas seulement naturelle, mais surnaturelle ; elle n’est pas simplement une luminosité matérielle et créée, mais l’éclat spirituel et incréé de la Divinité. C’est une lumière divine.
À la fin du IIe siècle déjà, Clément d’Alexandrie expliquait que les apôtres présents au Thabor - Pierre, Jacques et Jean - n’avaient pas vu la lumière par les facultés naturelles de leur perception sensorielle, car les yeux physiques ne peuvent voir la lumière de la Divinité à moins d’avoir été transformés par la grâce divine. La lumière est « spirituelle » ; elle n’est pas manifestée aux disciples intégralement, mais seulement dans la mesure où ils sont capables de la percevoir. C’est exactement ce qui est affirmé dans le tropaire (apolytikion) de la fête : « Tu t’es transfiguré sur la montagne, ô Christ notre Dieu, laissant tes disciples contempler la gloire autant qu’ils le pouvaient. »
C’est, pour reprendre l’expression de saint Grégoire le Théologien, une lumière « trop violente pour les yeux humains », une lumière, comme le dit saint Maxime le Confesseur, qui « transcende le fonctionnement des sens ».
De telles affirmations, très semblables, reviennent constamment à travers les textes liturgiques de la fête. Ainsi, la lumière du Thabor y est dite « non matérielle », « éternelle », « infinie », « inapprochable », « une gloire plus éclatante que la lumière ». En bref, elle n’est rien d’autre que la « gloire de la Divinité », « une splendeur éclatante et divine ». Comme l’écrit saint Denys l’Aréopagite, la lumière est « suressentielle » ou « au-delà de l’être » (hyperoùsios).
Ainsi, lorsqu’au XIVe siècle, saint Grégoire Palamas soulignait que la lumière du Thabor est identique aux énergies incréées de Dieu, il ne faisait rien d’autre que résumer la tradition existante des Pères, qui remontait à plus d’un millénaire avant lui.
Sur cette lumière incréée et non matérielle qui irradiait du Sauveur transfiguré, on peut affirmer qu’elle nous révèle au moins quatre réalités fondamentales : la gloire de la Trinité, la gloire du Christ comme Dieu incarné, la gloire de la personne humaine, la gloire du cosmos créé tout entier.
Premièrement, donc, la lumière du Thabor est une lumière de la Sainte Trinité. C’est ce que l’Église chante aux vêpres de la fête : « En ce jour sur le Thabor, le Christ, Lumière qui a précédé le soleil, révèle mystiquement l’image de la Trinité. »
Dans cette perspective, qui est celle d’une célébration trinitaire, la fête de la Transfiguration se rapproche étroitement de celle qui a lieu huit mois plus tôt, le 6 janvier exactement : la Théophanie ou Épiphanie. Les deux sont des fêtes de la Lumière. En fait, la Théophanie est communément appelée en grec : Ta Phota, « les lumières ».
Le parallèle va cependant plus loin encore : les deux fêtes sont des événements où est pleinement manifestée l’action commune des trois personnes de la Divinité. Au baptême de Jésus, la voix du Père se fait entendre des cieux, témoignant que le Christ est « son Fils bien aimé », alors que l’Esprit descend du Père sous la forme d’une colombe pour reposer sur Lui (Mc 1, 9-11).
La même configuration triadique apparaît précisément au mont Thabor : le Père parle des cieux, rendant témoignage au Fils, alors que l’Esprit saint est présent à cette occasion sous l’aspect non d’une colombe, mais d’une nuée lumineuse. Voyant la Transfiguration dans cette perspective trinitaire, les orthodoxes proclament dans l’exapostilaire des matines de la fête : « En ce jour au Thabor, ô Verbe, nous avons vu dans la manifestation de ta Lumière le Père comme Lumière [...] et l’Esprit saint comme Lumière, éclairant la création tout entière. »
En deuxième lieu, tout en étant trinitaire, la gloire de la Transfiguration est plus spécifiquement une gloire christologique. La lumière incréée qui rayonne du Seigneur Jésus le révèle comme « vrai Dieu de vrai Dieu [...], consubstantiel au Père », selon les paroles mêmes du Credo. En même temps, et bien qu’il rayonne d’une gloire non matérielle, le corps humain du Seigneur demeure sur le Thabor pleinement matériel et humain ; sa chair créée n’est pas abolie ou engloutie, mais simplement rendue transparente, de sorte que la gloire divine brille à travers elle. Ainsi que l’exprime l’hymnographie de la fête en recourant au langage de la définition de Chalcédoine et du Ve Concile œcuménique, le Christ est révélé sur la montagne comme « une personne de deux natures, et pleinement dans chacune d’elles ».
En interprétant les implications christologiques de la Transfiguration, nous pourrions dire : rien n’est enlevé et rien n’est ajouté. Rien n’est enlevé : transfiguré sur le Thabor, le Christ demeure pleinement humain. Rien n’est ajouté : la gloire éternelle révélée sur le Thabor est quelque chose que le Christ incarné a toujours possédée, à partir du premier moment de sa conception dans le sein de la Vierge Marie. Cette gloire est avec Lui tout au long de sa vie terrestre ; même dans les moments de la plus profonde humiliation, lors de son agonie au jardin de Gethsémani ou de son cri d’abandon sur la croix, la parole de l’épître de saint Paul aux Colossiens reste vraie : « En lui habite corporellement toute la plénitude de la Divinité » (2, 9). La différence réside simplement en ceci : à d’autres moments de sa vie sur terre, la gloire divine, bien que présente en vérité, reste cachée sous le voile de la chair ; mais là, au sommet de la montagne du Thabor, pour un bref instant, le voile devient transparent et la gloire se manifeste en partie.
À la Transfiguration, cependant, aucun changement n’a eu lieu dans le Christ lui-même ; la transformation s’est produite plutôt chez les apôtres. Comme l’affirme saint Jean Damascène, « le Christ a été transfiguré non pas en assumant ce qu’Il n’était pas, mais en manifestant à ses disciples ce qu’Il était, ouvrant leurs yeux ». Et saint André de Crête d’ajouter : « À cet instant, le Christ n’est pas devenu plus radieux ou plus exalté. Loin de là : Il est resté ce qu’il était avant. » Comme l’écrit Paul Evdokimov, « le récit évangélique ne parle pas de la transfiguration du Seigneur, mais de celle des apôtres ».
La fête de la Transfiguration nous pose donc devant le paradoxe salvateur de notre foi chrétienne : Jésus est entièrement Dieu et en même temps entièrement homme, mais cependant une seule personne et pas deux. Chaque année, le 6 août, nous ferions bien de méditer avec la plus grande clarté et humilité sur cette double plénitude du Sauveur incarné : sur la perfection de sa divinité et sur l’intégrité non diminuée de son humanité.
Troisièmement, la Transfiguration ne nous révèle pas seulement la gloire de la Trinité, pas seulement la gloire du Christ - une personne en deux natures -, mais aussi la gloire de notre propre personne humaine. La Transfiguration n’est pas simplement la révélation de ce que Dieu est, mais également de ce que nous sommes. En regardant le Christ transfiguré sur la montagne, nous voyons notre nature humaine - notre personne créée - unie à Dieu, remplie complètement de la vie et de la gloire incréée, pénétrée par les énergies divines, tout en continuant cependant à rester totalement humaine. Nous voyons la nature humaine comme elle était au commencement, au Paradis avant la chute. Nous la voyons aussi comme elle sera à la fin, dans les temps à venir après la résurrection finale. Il est clair que l’état final de la nature humaine est incomparablement plus élevé que le premier. La Transfiguration a, en ce sens, un caractère eschatologique ; elle est, selon les mots de saint Basile le Grand, l’inauguration de la glorieuse parousie du Christ.
La transfiguration du Christ nous montre donc la « déification de la nature humaine », pour reprendre l’expression de saint André de Crête. Si nous voulons comprendre la véritable signification de la doctrine de la déification - la theôsis -, il convient de participer à un office de vigiles de la fête de la Transfiguration, et d’écouter attentivement ce qui est dit et chanté. Le Christ, transfiguré sur la montagne, nous montre la pleine mesure de nos potentialités humaines, la capacité ultime de notre nature humaine dans ce qu’elle a de plus vrai et de plus élevé. L’hymne de l’avant-fête appelé kondakion dit : « En ce jour, dans la divine Transfiguration, la nature humaine tout entière resplendit divinement, s’écriant pleine de joie... »
Mais ce n’est pas tout, et j’en arrive au quatrième point, qui est très important pour le monde contemporain : le Christ transfiguré nous révèle la gloire non seulement de la personne humaine, mais aussi de toute la création matérielle. « Tu as sanctifié toute la création par ta lumière », chante l’Église orthodoxe aux vêpres de la fête. La Transfiguration a une portée cosmique, car l’humanité doit être sauvée non pas du monde, mais avec le monde. Le mont Thabor anticipe l’état final annoncé par saint Paul, quand la création sera, dans son intégralité, « libérée de la servitude de la corruption » et qu’elle « entrera dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8, 21). Il s’agit là de l’inauguration de la « nouvelle terre » évoquée par l’Apocalypse (Ap 21, 1).
Autrement dit, sur le mont Thabor, nous ne voyons pas seulement un visage humain transfiguré dans la gloire. En effet, les vêtements du Christ sont, eux aussi, éclatants (Mt 17, 2). La lumière du Thabor transforme non seulement le corps du Sauveur isolément, mais encore tous les objets matériels qui y sont associés, notamment les vêtements - faits de main d’homme - qu’Il porte. Ainsi, par extension, la lumière du Thabor embrasse potentiellement toutes les réalités matérielles : non seulement chaque visage humain, mais aussi chaque objet physique est susceptible d’être transfiguré. Dans la lumière de ce visage unique qui a été transformé, dans la lumière de ces vêtements particuliers qui ont été rendus blancs et étincelants, tous les visages humains ont acquis un éclat renouvelé, toutes les choses communes ont reçu une profondeur nouvelle. Et dans les yeux de ceux qui croient vraiment au Christ transfiguré, rien n’est petit, insignifiant ou méprisable : toutes les réalités créées peuvent, au contraire, devenir des vecteurs des énergies incréées de Dieu. La gloire du Buisson ardent est tout autour de nous, dans l’attente d’être dévoilée.