Communiqué de presse final
Les travaux du colloque
« Il est difficile de voir le Christ au milieu d’une foule – écrivait saint Augustin – ; la solitude nous est nécessaire. Dans la solitude en effet, si l’âme est attentive, Dieu se laisse voir. La foule est bruyante ; pour voir Dieu le silence est nécessaire. » Apprendre à habiter la solitude – ce face à face avec soi-même que tout homme connaît – signifie en même temps apprendre à habiter l’espace des relations avec les autres, acquérir un cœur accueillant, qui sache écouter l’autre. La solitude est corrélative à la communion.
En se mettant à l’écoute de l’Écriture et de l’enseignement des Pères (de saint Basile à saint Isaac de Ninive, des Pères du désert à ceux du monachisme byzantin et russe), mais en interrogeant aussi la réflexion de la pensée philosophique et théologique de l’Orient chrétien et la sagesse de certaines grandes personnalités spirituelles de l’Orthodoxie, le symposium a cherché à redécouvrir la relation féconde entre ces deux pôles qui constituent l’existence humaine. Après le mot d’accueil du prieur de Bose, Enzo Bianchi et la lecture des messages des Églises, la conférence d’ouverture de l’évêque Irénée de Backa (Novi Sad), sur Communion dans l’Église et expérience monastique, a souligné l’enracinement ecclésial du mouvement monastique. La relation réciproque entre la solitude et la communion, a observé Petros Vassiliadis (Communion et solitude : éléments bibliques), est une constante dans l’Écriture d’une part, et au cours de l’histoire de l’Église de l’autre, où deux tendances semblent s’opposer, sur l’axe horizontal du peuple appelé par Dieu (ekklesía – liturgie – communauté/communion) et sur l’axe vertical du rapport de chaque personne avec Dieu (monachisme – anachorèse – érémitisme).
Un point d’équilibre entre la poussée spiritualiste (et individualiste) et la dimension ecclésiale (le sens théologique de la communion) de l’expérience monastique (mais plus généralement de la spiritualité chrétienne elle-même) a été indubitablement représenté au IVe siècle (l’époque précisément des grandes controverses christologiques) par la réflexion théologique de Basile le Grand (Michel Van Parys : Communion et solitude selon saint Basile de Césarée).
Les coordonnées de la « communion » et de la « solitude » constituent ainsi l’espace de compréhension non seulement du phénomène monastique, mais des oscillations mêmes de la spiritualité chrétienne, qui a connu des modalités différentes en Orient et en Occident. On a ainsi suivi le parcours, de manière diachronique, des développements de ces lignes de force et les différentes dynamiques mises en œuvre dans divers contextes. Une donnée est ressortie assez clairement, sur laquelle on a mesuré une substantielle convergence des différentes conférences : la dimension arbitraire d’une opposition trop rigide des termes « ermitage » et « cénobium », entre vie solitaire et vie commune. Les schémas de classification – qui reviennent certes chez les auteurs anciens – apparaissent abstraits et inadéquats si on les comprend comme le miroir rigide d’une réalité spirituelle vivante et fluide, toujours prête à mettre en discussion dans le concret de la vie toute approximation théorique hâtive. Ceci vaut pour le monachisme byzantin (étudié par Kriton Chryssochoidis, Communauté et ermitage dans la tradition monastique byzantine) et le monachisme russe, analysé par Tat’jana Karbasova et Tatjana Rudi sur la base des textes hagiographiques (Communauté et ermitage dans la Russie ancienne : la tradition hagiographique –XVe-XVIIe siècles) et par Gleb Zapal’skij, en relation avec l’expérience historique d’Optina Poustine et de la skite de Saint-Jean le Précurseur. L’indissoluble circularité entre la recherche personnelle de Dieu et l’ouverture à une communion cosmique est même centrale dans l’expérience monastique et dans l’œuvre d’un Père dont l’importance est fondamentale pour la spiritualité tant de l’Orient que de l’Occident chrétiens, Saint Isaac de Ninive (présenté par Sabino Chialà). La continuelle relation entre la vie solitaire et la vie communautaire, entre le désert et le cénobium, vaut enfin pour l’Occident, comme l’a souligné Armand Veilleux, abbé de Scourmont, dans sa conférence sur Communauté et ermitage dans la tradition monastique occidentale .
Les deux dimensions de la solitude et de la communion ne doivent pas être détachées l’une de l’autre si l’on ne veut pas risquer une dangereuse dérive. Et cela est d’autant plus actuel dans l’horizon postmoderne d’atomisation du sujet. C’est la notion chrétienne de « personne » qui permet de composer harmonieusement les deux exigences de la « liberté subjective » et de l’« être communionnel ». L’approfondissement que la pensée personnaliste orthodoxe réserve à la conception de personne et de communion (Konstantinos Agoras, Athènes ; Konstantin Sigov, Kiev) a ainsi introduit la réflexion sur l’aujourd’hui, prolongée par l’évocation de l’expérience spirituelle de deux personnalités extraordinaires de solitaires contemporains, le père Cléopas de Sihastria (1912-1998) et le père Porphyrios de Kafsokalyvia (1906-1991), capables d’une communion universelle et cosmique, présentées lors du colloque par le métropolite Serafim d’Allemange et par Athanasios N. Papathanassiou.
La table-ronde consacrée à l’expérience monastique, Vivre en communion, vivre dans la solitude, a complété cet itinéraire en donnant à écouter l’expérience concrète de la vie des moines contemporains, grâce aux contributions de l’évêque Nazarij de Vyborg, supérieur de la Laure de la Trinité de Saint Alexandre Nevskij, (Saint Pétersbourg), du père Placide Deseille (monastère Saint-Antoine le Grand), délégué de l’higoumène du monastère athonite de Simonos Petras, de l’higoumène Damaskinos (Gavalas) du Monastère du Prophète-Élie (Santorin), de sœur Salomé du monastère de la Panaghia de Sayde, de mère Annamaria Canopi du monastère de l’Isola San Giulio d’Orta, et du père Andrej (Cilerdžic) di monastère des Saints Archanges (Kovili).
Dans le contexte des pays qui ont vécu jusqu’à des temps récents la dramatique expérience de l’athéisme d’État, la reconstruction de la communion ecclésiale peut courir le risque d’un isolement autosuffisant, de la fermeture sectaire en ghetto. Les chrétiens doivent savoir ouvrir ces systèmes de relations humaines qui tendent à se fermer sur eux-mêmes, pour laisser place à l’énergie transfigurante de l’Esprit saint qui, en eux et à travers eux, vivifie le cosmos tout entier (Kirill Hovorun, Initiation à la communion ecclésiale aujourd’hui : de l’isolement à l’ouverture transfigurante).
C’est l’énergie de l’espérance qui resplendit également dans l’enfer de l’isolement et de l’éloignement de Dieu, comme l’ont montré des saints comme Séraphin de Sarov et le starets Silouane du Mont Athos. « En devant des flammes ardentes de prière, les solitaires transforment le monde qui les entoure par leur seule existence, par le simple fait de leur présence secrète » (métropolite Kallistos de Diokleia, Communion et solitude hier et aujourd’hui).