Prière et évangélisation
La prière chrétienne est avant tout écoute
Si la prière n’était que l’expression du désir humain, si elle était de l’ordre de la recherche de Dieu, alors elle se nourrirait avant tout de paroles, elle voudrait seulement parler à Dieu ; mais si la prière est accueil d’une présence, comme dans la révélation biblique, alors elle est avant tout écoute. Dieu parle : voilà l’affirmation fondamentale qui traverse toute l’Écriture ; c’est la « grande vérité » sans laquelle nous ne pourrions avoir aucune relation personnelle avec Dieu. Par une décision absolue, par une initiative libre, gratuitement, Dieu s’est adressé à nous pour entrer en relation avec nous, pour instaurer avec nous un dialogue, une communion.
Dans le Deutéronome, cette réflexion profonde est mise dans la bouche de Moïse : « Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur la terre, interroge d’un bout à l’autre du monde : Est-il rien arrivé d’aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ? Est-il arrivé à un peuple d’entendre comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et de rester en vie ? » Oui, voilà la grande vérité : Dieu se révèle comme Parole et fait d’Israël le peuple de l’écoute, encore avant d’en faire le peuple de la foi, en lui révélant sa vocation permanente : appelé à écouter. Ce n’est pas un hasard, la prière hébraïque est rythmée par le Shema’ Israel, par l’appel « Écoute, Israël », commandement répété à plusieurs reprises dans la loi, qui ne demande en revanche que rarement de parler à Dieu. Si la prière de l’homme comme désir de Dieu présente un mouvement ascendant de paroles vers le ciel, l’écoute au contraire est finalisée à une descente de la Parole de Dieu. Le vrai orant est celui qui écoute, qui prête l’oreille à Dieu comme Abraham. Pour cette raison, « l’écoute est préférable au sacrifice » (1S 15,22) ; l’écoute est préférable à tout autre rapport entre l’homme et Dieu qui s’appuie sur le fragile fondement de l’initiative humaine.
Cette vérité est répétée de manière admirable dans le prologue de la lettre aux Hébreux, qui se base sur l’affirmation solennelle selon laquelle Dieu a parlé dans l’histoire jusqu’à nous parler dans son Fils (voir He 1,1-2), en Jésus Christ, vers qui s’oriente le Shema’, l’écoute, comme le commande la voix de Dieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le ! » (Mc 9,7).
Ainsi la prière authentique se déploie là où il y a l’écoute, lorsque nous sommes amenés à reconnaître une Présence : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » (1S 3,10). Cela constitue la première attitude dans la prière, une attitude que nous sommes malheureusement tentés de retourner continuellement, en finissant par dire « Écoute, Seigneur, ton serviteur parle »… Oui, l’écoute est prière ; une primauté absolue revient à l’écoute, parce qu’elle reconnaît l’initiative de Dieu, le fait que Dieu est sujet de notre rencontre avec lui. L’écoute n’est pas passivité, mais réponse active, action par excellence de la créature à l’égard de son Seigneur.
À l’invitation que Dieu fait à Salomon de l’interroger et de lui poser des questions, le roi répond en demandant un lev shomea’, un « cœur écoutant » ; et il plut à Dieu que Salomon ait fait cette requête (voir 1R 3,9-10). Voilà donc ce qui est agréable au Seigneur, dans notre prière ; car l’écoute est la demande qui est engendrée par la Parole, par la volonté de Dieu ; c’est la demande primordiale, la nécessité première. C’est l’impératif « Écoute ! » qui constitue, comme Dieu lui-même l’atteste, le premier commandement, celui parmi tous les autres qui permet de connaître et d’aimer le Seigneur, Dieu unique, et d’aimer le prochain (voir Mc 12,29-31).
On trouve donc ici du mouvement de la prière chrétienne : de l’écoute à la connaissance de Dieu et à l’agape. On ne le soulignera jamais assez : là où il n’y a pas de primauté accordée à l’écoute de Dieu, la prière tend à devenir une activité humaine, obligée de se nourrir d’actes et de formules où l’on cherche sa propre satisfaction et son assurance ; sans écoute, la prière devient prétention de pouvoir et de domination, l’épiphanie d’une arrogance spirituelle, l’alibi pour notre mise en pratique concrète de la volonté de Dieu, une discipline de concentration qui éliminerait les distractions, mais sans conduire au Seigneur qui parle.
Du reste, les Évangiles – celui de Jean en particulier – nous rappellent que l’écoute est à la base des relations intra-tinitaires elles-mêmes : le Père, le Fils et l’Esprit saint font de l’écoute réciproque l’attitude qui fonde leur communion d’amour.