Visite à l’église arménienne
Deux frères de Bose participent au colloque organisé par l’Église apostolique arménienne sur “Liberté religieuse et paix” et visitent quelques monastères arméniens.
Du 8 au 11 septembre nous avons participé, au nom de la communauté, à un important colloque, organisé par l’Église apostolique arménienne au Siège primatial d’Etchmiadzine, sur le thème “Liberté religieuse et paix internationale”.
La principale raison de ce colloque était de sensibiliser l’attention internationale, et particulièrement celle des Églises et institutions occidentales, sur la situation dramatique du territoire de l’Artsakh (connu aussi comme Haut-Karabagh) qui, suite au conflit qui opposa l’Azerbaïdjan à l’Arménie en automne 2020, est occupé dans plus de sa moitié par l’armée azérie. Si les évènements belliqueux n’ont été couverts que partiellement et de manière distraite par les média occidentaux, ce qui a suivi la fin officielle de la guerre a été complètement ignoré. Bien que partant de ce présupposé, le colloque ne s’est pas limité à la situation contingente ; il a voulu élargir l’horizon à d’autres régions et au thème plus général du rapport entre liberté religieuse et paix (voir programme).
Les intervenants représentaient tout l’arc œcuménique. En effet, y ont pris la parole, outre divers évêques et membres de l’Église apostolique arménienne, dont S.S. le Catholicos Karékine II, patriarche de tous les Arméniens, l’évêque Vrtanès Abrahamyan, primat du diocèse de l’Artsakh, de nombreux représentants des diverses Églises, dont l’archevêque Angaelos, primat du diocèse copte orthodoxe de Londres (que nous avions déjà pu connaître et apprécier il y a deux ans à Bose lors du dernier colloque de spiritualité orthodoxe), Mor George Kourieh, vicaire patriarcal du Patriarcat syro-orthodoxe pour la Belgique, la France et le Luxembourg, l’archimandrite Philaret Boulekov, du Département pour les relations extérieures du Patriarcat de Moscou, le chorévèque Patrick Sookdheo de l’Église syro-orthodoxe au Royaume-Uni, l’évêque anglican du Gibraltar Robert Innes, l’archevêque José Avelino Bettencourt, nonce apostolique en Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan, le secrétaire général du Conseil Œcuménique des Églises, Ioan Sauca, le secrétaire général et président du Conseil national des Églises aux États-Unis Jim Wikler, le pasteur luthérien, président de la Conférence des Églises européennes, Christian Krieger, l’archimandrite Ignatios Sotiriadis, secrétaire de la Commission per les relations inter-chrétiennes de l’Église orthodoxe de Grèce, et le prêtre Nikademus Yokhanaev, responsable de la communauté assyrienne d’Arménie.
Il y avait aussi quelques-uns des meilleurs experts mondiaux du patrimoine artistique arménien et plus généralement du Moyen-Orient chrétien (dont Jasmin Dum-Tragut, Sergio La Porta et George Kiraz), ainsi que des représentants des ONG humanitaires qui travaillent en Arménie et ailleurs. Parmi ces derniers signalons Caroline Cox, membre indépendant de la Chambre des Lords du Royaume-Uni et fondatrice de l’Humanitarian Aid Relief Trust, qui travaille dans le monde entier, surtout dans les régions frappées par les guerres, et qui a reçu, à cette occasion, une haute distinction honorifique des mains de S.S. Karékine II, pour son action en faveur de l’Église arménienne.
Dans son discours d’ouverture, Garéguine II a affirmé :
“Les concepts de liberté et de paix sont aussi vieux que l’humanité elle-même ; ils restent pourtant toujours actuels, surtout si l’on considère que la violence, les conflits et les guerres en diverses régions du monde sont souvent justifiés par l’usage trompeur des concepts mêmes de liberté et de paix. Pour la pensée chrétienne, la liberté se manifeste dans l’harmonie de la volonté humaine avec celle du Très Haut. C’est convaincu de cela que l’apôtre Paul déclare : ‘Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté’ (2Cor 3,17). En effet, sans une profonde compréhension religieuse des concepts de liberté et de paix, il est impossible de parvenir à une compréhension et à une mise en œuvre de la liberté et des droits humains […] Bien-aimés, la bénédiction de Dieu, le progrès dans la vie et la joie ne se trouvent que dans la paix. L’espérance du futur aussi réside dans la paix. Pour nous, chrétiens, demander la paix et instaurer la paix signifie témoigner du Christ. Le message de notre Seigneur et Sauveur est : ‘Soyez en paix les uns avec les autres’ (Mc 9,50). En effet, nos pas vers la paix sont une expression de notre foi en Dieu, car la foi elle-même est une alliance de paix avec Dieu. La paix ne peut porter du fruit et persister qu’au travers de l’application de la justice. Une paix forcée, sans justice, engendre douleur et souffrance au lieu du bien. Elle engendre aussi haine et inimitié dans la vie humaine. Malgré la conscience et l’aspiration universelle à la liberté et à la paix, la violence, les guerres, la haine ethnique, l’inimitié à l’intérieur des nations et les crimes mondiaux qui en découlent n’ont pas encore été dépassés dans le monde. Pire, elles continuent d’être exécutées en recourant aux plus récentes conquêtes scientifiques et technologiques”.
De son côté, le p. Ioan Sauca, parlant au nom du Conseil Œcuménique des Églises et se référant aux difficultés de l’Église arménienne dues à la guerre, et à l’appel qu’elle a adressé aux Églises, a assuré sa pleine solidarité, car
“lorsqu’un membre de la communauté œcuménique souffre, tous les autres souffrent avec lui : leur intercession, les signes de solidarité et le soutien à celui qui souffre rendent visible leur croissance dans la communion”.
Se référant ensuite au thème du colloque, il a souligné que
“le sens que les lieux saints traditionnels ont pour les chrétiens et leurs communautés, leur importance pour une liberté religieuse concrète et effective et pour la promotion et la tutelle de la paix, sont toujours davantage reconnus […]. Notre identité de croyants est en effet en rapport très étroit avec notre patrimoine religieux et nos lieux de culte : c’est une caractéristique commune à tous les hommes, au-delà de la foi de chacun”.
Bien qu’affrontant un thème difficile qui évoquait constamment des réalités douloureuses pour plusieurs communautés chrétiennes de l’Orient, le colloque s’est déroulé dans une atmosphère de dialogue partagé et fraternel. À cela ont aussi contribué, outre les moments d’échange fraternels et les repas généreusement offerts aux participants par S.S. Karékine II et par le comité organisateur du colloque, les temps, brefs mais significatifs, de prière commune. Nous avons en particulier participé à un office du “lever de la lumière”, présidé par Sa Sainteté auprès du baptistère de l’église-mère dédicacée aux saints Vartan et Jean, et chanté par le grand chœur des diacres de la cathédrale patriarcale, au cours duquel l’évêque anglican Robert Ines adressa à l’assemblée un sermon sur le thème du Christ “Lumière du monde”.
Le même jour, les participants, guidés par l’archevêque Nathan Hovhanissyan et par l’archimandrite Garegin Hambardsumyan, ont été reçus en visite officielle par le président de la République d’Arménie, Armen Sarkissian, qui a exprimé sa satisfaction pour l’heureuse initiative de l’Église apostolique arménienne, et souligné, entre autres, l’importance de la protection du patrimoine artistique et religieux qui risque d’être endommagé ou même anéanti par la violence de la guerre, se référant en particulier aux événements du Haut-Karabagh. Il s’est pourtant montré confiant en la capacité de l’Arménie de rester debout grâce à ses amis dispersés dans le monde entier. Enfin, s’adressant aux participants, il déclara : “Vous êtes nos amis !”
À la fin du colloque, le 11 septembre, nous avons été invités à visiter le mémorial du génocide arménien, situé sur une colline qui domine la ville d’Yerevan – où nous nous sommes recueillis quelques minutes en prière silencieuse – et le nouveau musée du génocide adjacent, riche en documentation historique et en matériel photographique sur ce que les Arméniens rappellent comme Metz Yeghérn (“le Grand Mal”), et qui a vu la mort de plus d’un million et demi de personnes entre 1915 et 1922. Le même jour, nous avons encore visité le musée-bibliothèque des manuscrits “Matenadaran” situé au centre de la capitale. Il conserve la plus grande collection de manuscrits arméniens existant au monde, dont un grand nombre heureusement soustraits au génocide (parmi lesquels le fameux “Codex de Mush”).
Au terme des travaux, le comité organisateur, avec l’approbation de tous les participants, a rédigé un communiqué dans lequel, réaffirmant les principes de la paix et de la liberté religieuse, il adresse quelques appels à la communauté internationale (pour le texte intégral en anglais, v. ici).
Comme frères de Bose, nous avons eu aussi l’honneur et la joie d’être reçus en visite privée par S.S. Karékine II, qui s’est entretenu avec nous durant plus d’une demi-heure, nous faisant part de ses projets pour l’Église apostolique arménienne (parmi lesquels la construction d’un nouvel institut de formation universitaire) et en particulier pour la renaissance de la vie monastique. Il nous a parlé de ses rencontres et de son estime personnelle pour le pape François, qui a visité l’Arménie en 2016. Il a aussi exprimé son affection pour notre communauté, dont il se dit très proche, ainsi que son appréciation pour l’activité des colloques œcuméniques de spiritualité orthodoxe auxquels il a toujours veillé à envoyer des représentants qualifiés. De notre côté, nous avons assuré Sa Sainteté, de notre constant rappel de son Église dans notre prière.
Après la conférence, nous avons consacré quelques jours à découvrir le riche patrimoine artistique arménien, et en particulier ses nombreux monastères, autrefois très florissants. Après une brève visite au monastère mekhitariste d’Yerevan, avec le P. Mashtots Lazaryan, prêtre de l’Église arménienne-catholique et ami de longue date de notre communauté, nous avons pu visiter de nombreux lieux intéressants : entre autres, le cimetière historique de Noraduts près du lac Sevan, à environ 2000 mètres d'altitude, où se trouve la plus grande collection de khatchkars (les croix taillées dans le roc, expression artistique typique de l’Église arménienne) existant en Arménie, puis les beaux monastères de Gehardt, Hairavank, Hagartzin, Saghmosavank, Hovhannavank, Noravank, et surtout le célèbre monastère de Khor Virap (“Fosse profonde”), construit sur le lieu où, selon la tradition, saint Grégoire l’Illuminateur – qui évangélisa l’Arménie au IVe siècle – fut enfermé sur l’ordre du roi Tiridate III, peu avant sa conversion. Il n’y a malheureusement guère de vie monastique actuellement dans ces beaux monastères.
De la colline sur laquelle se dresse Khor Virap, nous avons admiré le massif majestueux du mont Ararat, mais notre regard s’est également posé sur la toute proche frontière avec la Turquie : en raison d’un traité conclu entre la Russie et la Turquie à l’'époque soviétique, ce principal symbole de l’Arménie se trouve depuis un siècle sous contrôle étranger.
Parmi les nombreux dons que nous rapportons de cette visite, outre les souvenirs vivants des nombreux visages rencontrés, les paroles entendues et les lieux visités, il y a le Livre de prières de saint Grégoire de Narek, le plus important père de l’Église arménienne, récemment proclamé docteur de l’Église universelle par le pape François : les organisateurs de la conférence ont voulu remettre à chaque participant un exemplaire de ce texte dans une nouvelle traduction anglaise (The Prayer Book of St. Gregory of Narek, Holy Etchmiadzin 2018). Nous garderons précieusement les paroles d’une rare beauté de ce livre empreint non seulement d’un sens aigu du péché et de la conscience de la solidarité universelle dans la culpabilité, mais aussi d’une immense confiance en la miséricorde de Dieu : dans un des discours prononcés lors de son voyage apostolique en Arménie (25 juin 2016), le pape François l’a défini la “constitution spirituelle du peuple arménien” et “un cri du cœur qui implore la miséricorde pour tous”.
Frères Luigi et Federico, moines de Bose
Mots-clés: Visite e attività ecumeniche di Bose